Évaluation de la qualité de l'eau de la Vuachère à Lausanne

De nombreux micropolluants ont été détectés dans la Vuachère, dont certains en provenance d'eaux usées non traitées. Ces substances, notamment le médicament ibuprofène, l'herbicide diuron et les insecticides diazinon, fipronil, chlorpyrifos et fenpropathrine, comportent des risques écotoxicologiques.

Le Service de l'eau de la ville de Lausanne a détecté de nombreux traceurs d'eaux usées dans la Vuachère. Or le bassin versant de cette rivière urbaine ne comporte aucune station d'épuration. La présence de ces substances semble donc indiquer une pollution par des rejets d'eaux usées non traitées, due à de mauvais raccordements ou à des fuites dans les conduites. Une remédiation doit être effectuée dans les années qui viennent. Pour établir un état de référence qui permettra de juger des progrès accomplis, la qualité de l'eau de la Vuachère a été évaluée par des analyses chimiques et des tests écotoxicologiques dans le cadre d'un travail associant la ville de Lausanne, le Centre Ecotox et l'université de Lausanne.

La Vuachère prend sa source au nord-est de Lausanne puis traverse la ville dans un couloir boisé avant de se jeter dans le Léman. Son bassin versant présente une surface principalement urbanisée à partir de laquelle de nombreux polluants sont entrainés dans la rivière à la faveur des pluies. La présence de parcelles agricoles, en amont de son principal affluent, le Flon, expose aussi potentiellement le milieu aquatique à des substances phytosanitaires.

De nombreux micropolluants détectés

Pour caractériser la rivière, un échantillonnage composite été effectué de mai à juillet 2022 dans trois stations – une dans la partie amont de la rivière, une à l'arrivée du Flon et une à l'embouchure dans le Léman – avant de procéder à des analyses chimiques et à une série de bioessais. La batterie de biotests comprenait huit essais couvrant une grande diversité d'effets des polluants (voir Tableau). « La plupart de ces tests sont très pratiques et nous les recommandons pour l'étude des cours d'eau subissant des pollutions multiples », indique Cornelia Kienle du Centre Ecotox.

En parallèle, des analyses ont été menées sur 161 micropolluants, dont des phytosanitaires, des biocides, des médicaments, des sucres de synthèse et des PFAS. « 62 % des substances recherchées ont effectivement été détectées dans la Vuachère, révèle Vincent Gregorio, de la Ville de Lausanne. Les plus fréquents étaient l'acésulfame K, un édulcorant, la metformine, un antidiabétique, et le DEET, un répulsif contre les insectes. » Avec la mesure régulière d’autres médicaments comme l’irbésartan, l’hydrochlorothiazide et le diclofénac, ces substances indiquent une pollution manifeste par des déversements d’eaux usées brutes dans la rivière.

Un risque de toxicité dû à l'ibuprofène et à des insecticides déjà interdits

Pour évaluer le risque que représentent les substances détectées pour les organismes aquatiques, les concentrations mesurées ont été comparées aux critères de qualité environnementale correspondants, c'est-à-dire, pour chaque substance, à la concentration à partir de laquelle un effet toxique sur les organismes aquatiques ne peut être exclu. Si le rapport entre les deux concentrations est supérieur à 1, un risque d'effet toxique existe. « Le risque le plus élevé a été identifié pour le chlorpyrifos et le diazinon (deux insecticides déjà interdits), pour l'herbicide diuron, pour les biocides fipronil et imidaclopride, pour le PFOS (perfluorooctanesulfonate), déjà restreint dans son emploi, et pour deux médicaments, l'ibuprofène et le paracétamol », confie Vincent Gregorio.

Les plantes aquatiques et les invertébrés particulièrement concernés

Le diuron était le seul herbicide entraînant un risque de toxicité chronique. Du côté des médicaments, l'ibuprofène présentait un risque sur les trois sites et durant la quasi-totalité de la période d'échantillonnage. Les concentrations d'ibuprofène mesurées peuvent affecter la survie et le développement des organismes aquatiques tels que les larves de chironomes. Pour le PFOS, la concentration mesurée sur un site était supérieure au critère de qualité environnementale déterminé par le Centre Ecotox pour les expositions chroniques, valeur qui se basait sur le risque d'empoisonnement secondaire des oiseaux piscivores. Dans la Vuachère, un risque de bioaccumulation du PFOS dans les poissons existe donc.

Pour chaque groupe d'organismes, le risque lié au mélange de substances présentes peut être calculé en faisant la somme des risques individuels dus aux différents composés détectés. Le risque aigu était en général acceptable (voir Figure) mais un risque chronique était identifié pour les plantes aquatiques et les invertébrés, attestant d'une mauvaise qualité générale de l'eau. Les substances responsables de ce risque global étaient les mêmes que celles pour lesquelles un risque individuel avait été détecté.

Indicateurs du risque du mélange de substances détectées sur chaque groupe d'espèces (RQAmix, RQCmix) sur la période d'échantillonnage de trois mois (tour de la montre) à chaque station. À gauche : risque aigu ; à droite : risque chronique.

Des tests sensibles avec des cultures cellulaires

Les résultats de l'évaluation écotoxicologique concordaient bien avec les analyses chimiques. Dans deux stations, une inhibition de la photosynthèse était observée dans le test avec les algues vertes, alors que l'herbicide diuron était détecté en parallèle. Les bioessais CALUX^® menés in vitro avec des cultures de cellules génétiquement modifiées indiquaient une toxicité potentielle sur au moins un des sites. La réponse était particulièrement forte avec les tests portant sur le stress oxydatif et la métabolisation des xénobiotiques.

Les tests in vivo avec les embryons de poissons zèbres et les daphnies n'indiquaient pas de toxicité, ce qui concorde avec les analyses chimiques. En effet, bien que des insecticides aient été détectés, les concentrations étaient assez faibles pour n'avoir pas d'effets directs sur les espèces exposées dans les essais. « Les tests écotoxicologiques ont été un bon complément pour l'analyse chimique ; ils nous ont permis d'obtenir une meilleure représentation de la qualité de l'eau de la Vuachère », commente Vincent Gregorio.

La présente étude a servi à établir un état de référence. Dans les années qui viennent, il est prévu d'assainir la Vuachère et d'éliminer les rejets d'eaux usées brutes. Les analyses et les tests seront renouvelés dans quelques années pour estimer si ces mesures ont eu un effet positif sur la qualité de l'eau.

Pour en savoir plus

Gregorio, V., Khajehnouri, F., Chèvre, N., Kienle, C., Pointet, L., Savioz, A., & Barbier, S. (2023). Évaluation écotoxicologique d'une rivière avant remédiation. Déterminer un état de référence de la pollution. Aqua & Gas, 103(7-8), 62-73 Institutional Repository

Vincent Gregorio Envoyez un message