23. mai 2017, Catégorie: Ecotoxicologie aquatique Evaluation des risques
Ces champignons aquatiques si souvent oubliés
La mycoflore aquatique participe à la dégradation de la matière organique et joue ainsi un rôle essentiel dans le réseau trophique des écosystèmes d'eau douce. Les champignons aquatiques ne sont pourtant pas pris en compte dans l'évaluation du risque lié aux fongicides. Le Centre Ecotox estime qu'il est temps qu'il en soit autrement.
Lorsque des branches ou des feuilles mortes tombent dans un ruisseau, ils n'y constituent pas des déchets indésirables mais une source essentielle de nourriture. Dans les petits cours d'eau, ces matériaux peuvent en effet fournir jusqu'à 99 % de l'énergie reçue. Toutefois, cette énergie d'origine végétale n'est pas directement utilisable par la faune aquatique : les feuilles et branchages doivent tout d'abord être colonisés par des champignons et microorganismes aquatiques. Ces organismes « conditionnent » la matière végétale. Tout d'abord, ils dégradent la cellulose et la lignine et les convertissent en des composés digestibles par les détritivores. Ensuite, ils produisent des protéines et des lipides riches en énergie de par leur propre biomasse. La colonisation de la matière organique par la mycoflore occupe donc une place essentielle dans le réseau trophique des cours d'eau.
Les fongicides, une menace pour les champignons aquatiques
Parmi les menaces principales qui pèsent sur les écosystèmes dulçaquicoles, les pesticides parvenant dans le milieu aquatique de façon ponctuelle (par les stations d'épuration) ou diffuse (par dérive, ruissellement ou drainage à partir des terres agricoles, des jardins ou d'autres surfaces) sont l'une des plus importantes. Pour protéger les milieux aquatiques des nuisances pouvant être causées par l'utilisation des produits phytosanitaires et des biocides, l'Autorité européenne de sécurité des aliments et les offices fédéraux de l'agriculture et de l'environnement évaluent le risque lié à ces substances avant toute autorisation de mise sur le marché. Cette évaluation ne tient cependant compte que des effets sur les végétaux, les invertébrés et les poissons et ignore les champignons.
Les scientifiques estiment qu'il existe sur Terre environ 1,5 millions d'espèces de champignons. Les ascomycètes et les basidiomycètes, qui forment des filaments, sont très importants pour la dégradation des feuilles mortes dans les rivières. De leur côté, les chytrides parasites sont une source importante de nourriture pour les petits invertébrés dans les lacs. Il n'existe jusqu'à présent que peu d'études sur l'impact des polluants sur les champignons aquatiques et sur leurs fonctions écologiques. Les fongicides sont alors particulièrement intéressants du fait de leur mode d'action ciblé sur la mycoflore. Les études montrent notamment que les fongicides de la famille des triazoles comme l'époxyconazole ou le tébuconazole sont plus toxiques pour les champignons aquatiques que pour tous les autres organismes testés jusqu'à présent et que leur impact est déjà observable aux concentrations habituellement rencontrées dans l'environnement. Un monitoring effectué en Suisse en 2012 a montré que les fongicides étaient, avec les herbicides, les pesticides les plus fréquents dans les cours d'eau moyens des régions agricoles. Sur les 13 fongicides de synthèse détectés dans la plupart des bassins versants étudiés, 7 étaient présents dans plus de 70 % des échantillons.
Nécessité de compléter l'arsenal de tests requis
Il n'existe encore que quelques bioessais portant sur les champignons aquatiques. Ceux-ci mesurent aujourd'hui la dégradation de disques de feuilles dans des filets et sont effectués en conditions d'eau stagnante, ce qui est très éloigné des conditions réelles des cours d'eau. De nouvelles directives sont nécessaires pour garantir la pertinence des résultats. Ainsi, les ascomycètes et basidiomycètes responsables de la dégradation des feuilles mortes immergées doivent être étudiés en mésocosmes en conditions d'eau courante et de forte saturation en oxygène, reproduisant celles typiques de leur milieu de vie privilégié. Pour les eaux stagnantes, il serait judicieux d'un point de vue écologique d'effectuer des bioessais avec des champignons aquatiques colonisant les plantes mortes sur place comme les roseaux. De tels tests n'existent pas pour le moment mais certaines des méthodes décrites dans la littérature scientifique pourraient être utilisées pour en mettre au point.
D'autres paramètres devraient également être mesurés. En complément de la dégradation de la matière végétale, la mycoflore aquatique remplit d'autres fonctions écologiques essentielles comme la séquestration des polluants ou la régulation de la dynamique de population du phytoplancton. Le Centre Ecotox travaille donc actuellement à la mise au point d'un essai simple pour les champignons basé sur les levures, qui conviendrait aussi bien à l'évaluation des substances qu'à l'étude des échantillons d'eau. Par ailleurs, d'autres équipes de recherche ont, elles aussi, reconnu l'importance des bioessais pour champignons. Nous suivrons ces évolutions avec un grand intérêt.